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Internautes lecteurs, bonjour !

J'ai découvert l'univers des blogs très récemment. Je suis bibliothécaire et mon métier est donc de faire partager ma passion. Voici donc mes coups de coeurs et n'hésitez pas à me faire partager les vôtres !

Je vous parlerai surtout de littérature française et étrangère contemporaine sans oublier bien sûr mes classiques préférés...

Une rubrique est également réservée aux lectures pour adolescents ainsi qu'à la BD et aux mangas.

Bonne lecture !

 

 

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12 février 2010 5 12 /02 /février /2010 16:56

AFRIQUE DU SUD

Les amants de ma mère

Editions du Panama, 2007

Voici une grande fresque romanesque sur l'Histoire de l'Afrique du Sud, écrite par un écrivain assez confidentiel, émigré dans le sud de la France afin de fuir l'Apartheid.

Sur un ton tragi-comique, très satirique et truffé d'humour noir, le narrateur nous raconte plus de cent ans d'histoire africaine, de la colonisation afrikaner à la société post-apartheid, de l'Afrique mythique des grands explorateurs et de Karen Blixen à la société du spectacle, de l'ultrasécurité et de la violence paroxystique.

A travers l'histoire de sa mère, grande aventurière, aviatrice et chasseur émérite (et en même temps tricoteuse ! ), qui ne connaît ni les frontières, ni les races, amie d'Hemingway et du Docteur Schweitzer, le narrateur rend hommage à la grande Afrique mythifiée des premiers colons.

Mais, comme il le dit, Johannesburg a été créée par une bande de durs à cuire, des mineurs chercheurs d'or qui ont ouvert ensuite des bars et des bordels !

Guerre des boers, apartheid puis société ultrasécuritaire où les blancs ne savent plus où ils en sont. D'ailleurs, Christopher Hope emploie le champ lexical du spectacle et du masque pour parler de ces changements d'identités successifs. Les noirs qui veulent devenir des blancs, les étrangers qui veulent devenir des sud-africains etc.

Cette fresque est l'histoire de la fermeture de l'Afrique, de la naissance des frontières : la mère qui a parcouru l'Afrique avec ses multiples amants de toutes nationalités, un jour, ne peut plus traverser les frontières dans le ciel. Une page est tournée ; les blancs se parquent dans des villas hyper sécurisées et n'ont plus que le sexe pour assouvir leur plaisir. Le narrateur, voyageur qui vend des climatiseurs, revient au chevet de sa mère et renoue avec les amants pour exécuter ses dernières volontés.

Mais lui est l'éternel sceptique, sarcastique qui refuse de s'engager : il préfère brasser de l'air et cultiver son jardin !

Une grande fresque souvent très humoristique sur le destin funeste des africains ; très documenté, ce roman nous apprend plein de choses sur les multiples états africains. On ne s'y ennuie pas une seconde sur près de 500 pages : hommes léopards, chasse à l'éléphant, nuits torrides sud-africaines ; on rencontre des congolais, des réfugiés du Zimbabwe et du Mozambique. au fur et à mesure des années, les blancs se refont des peaux successives. Bienvenue au pays du travestissement et des rêves reniés !

Un constat alarmant, très sarcastique mais aussi un cri d'amour pour cette mère qui personnifie à elle seule l'Afrique mythifiée. Un très beau personnage romanesque !

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3 février 2010 3 03 /02 /février /2010 22:02

Editions du Rouergue, 2005

Seule Venise

Collection "La Brune"

Il y a quelques semaines, je découvrais Claudie Gallay avec L'or du temps. Peu convaincue...
Je viens de changer d'avis avec Seule Venise.

Toujours ces êtres solitaires, esseulés qui souhaitent changer de vie ; un jour, grâce à une rencontre, leur destin bascule.

On retrouve cette écriture très elliptique, par petites touches impressionnistes, qui va si bien à la description de Venise. Les rencontres romanesques dans la Normandie de L'or du temps paraissaient factices, irréelles. Ici, l'on est à Venise, tout est possible !

D'autant plus que l'auteur évite les poncifs : le carnaval, les touristes...On contraire, elle choisit l'hiver, la neige, une Venise embrumée et glauque. Ce sont les lumières des fenêtres, des auberges qui donnent de l'éclat aux rues.


Une ville, une femme, trois rencontres. Elle vient d'être quittée par son amant  ; elle largue les amarres et se réfugie dans une Venise hivernale.

Elle parle, elle vouvoie, elle s'adresse à un homme qu'elle vient de rencontrer à Venise. On apprend petit à petit que c'est un libraire solitaire, qui voue une passion pour un peintre juif ayant peint l'holocauste.

Ils se rencontrent au hasard des ruelles et des ponts, il lui prête des livres, le sentiment amoureux naît...Et puis il y a ces autres rencontres, ses voisins de chambre de la pension où elle a élu domicile : ce vieux prince russe paralytique qui est obsédé par la ponctualité et qui recherche désespérément son amour de jeunesse. Cette danseuse obsédée par son art qui croit avoir trouvé l'amour. Et puis, Luigi, le propriétaire discret de la pension, fantomatique,qui attend désespérément sa fille et décore le sapin de Noël.

Tous ont vécu le manque, désirent une nouvelle fois. Chassé-croisé amoureux, amours en fuite, amours naissants ou retrouvés...Le bal est ouvert.

Sur les ponts, dans les ruelles, dans les pensions, l'Autre est là pour guérir, pour faire comprendre. Comme dans L'or du temps, Claudie Gallay évoque un artiste réel, Zoran Music et ses peintures des cadavres de Dachau.

Claudie Gallay livre une écriture certes très dépouillée mais laissant la place à une sensualité certaine : la description du chocolat chaud du Café Florian, les pas dans la neige, l'éclat d'une lumière, l'odeur du vieux cuir des livres. La Venise enneigée devient un théâtre d'ombres et de lumières, un mystérieux clair obscur.

Ce roman est placé sous le signe de la rencontre mais aussi de l'art. La narratrice, perdue dans son deuil d'amour, reprend peu à peu goût à la vie en découvrant la guérison par les poèmes et la peinture (le cas de Zoran Music) et par la littérature et la musique.

Une très belle promenade sensuelle et poétique, tout en retenue.

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30 janvier 2010 6 30 /01 /janvier /2010 19:49

PRIX FEMINA 1999



Editions du Seuil

Maryline Desbiolles, écrivain assez confidentielle, vient de faire paraître La Scène, récit sur les repas en famille, notamment inspirés de la peinture.
M'intéressant aux rapports entre littérature et peinture, j'ai eu envie de découvrir cet auteur par un titre plus ancien. J'ai donc emprunté le Prix Fémina 1999, Anchise et ai découvert une écriture très exigeante, oscillant entre prose et poésie, au lyrisme retenu.

L'influence mythologique est certaine : rappelons qu'Anchise est le père d'Enée ; ce dernier porte son père lorsqu'ils fuient Troie.
Dans le roman, il y a justement le thème central de la vieillesse puis celui de la mort et de la guerre.

Anchise est un vieillard qui vit dans une vieille maison branlante dans l'arrière-pays niçois.
A côté de lui, deux maisons occupées également par des vieillards.
Au dehors, la lumière éclatante, la chaleur de l'été. Lui, Anchise, s'est mis en sommeil depuis des dizaines d'années depuis que Blanche, sa jeune épouse, est morte de la typhoïde alors qu'il était parti à la guerre.
Depuis, il vit dans sa solitude, passe pour une personne illuminée  ; mais lui vit dans ses souvenirs, avec cette image de sa femme bien aimée, la personnification de la lumière et de la passion.

Hors de l'espace et du temps, Anchise, le boiteux, l'apiculteur, délaisse le présent (il laisse sa maison s'écrouler, les abeilles s'éloigner de la ruche). Il se réfugie dans les images éternelles, immortelles du passé.

A mettre en lien avec Les derniers indiens de Marie-Hélène Lafon chroniqué ci-dessous : la solitude des vieillards et des paysans.
Ici, Maryline Desbiolles s'affirme comme écrivain-peintre de la lumière : dans des phrases qui palpitent au rythme de la virgule, elle décrit les oscillations de la lumière, du soleil, de l'incendie. La lumière est celle de la passion non assouvie. Elle décrit une nature panthéiste où l'humain devient animal ou s'identifie aux différents éléments.
On pense à Giono ou encore aux scènes de genre de Pierre Bonnard.

Un livre exigeant qui donne envie de découvrir les autres titres de Maryline Desbiolles, même si la première lecture est loin d'être facile. On est loin en effet, de la phrase qui coule sans obstacles. C'est au contraire une langue belle mais âpre qui demande des pauses, des arrêts sur image pour mieux regarder les "tableaux"

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30 janvier 2010 6 30 /01 /janvier /2010 19:25

Il y a plus de 4 ans, j'avais publié un article sur la littérature haïtienne. Les événements tragiques de janvier ont contribué à remettre au premier plan cette littérature si attachante.
Si les haïtiens sont l'un des peuples les plus pauvres de la planète, ils ont ausi la fierté d'avoir de nombreux écrivains et non des moindres. Parmi eux, René Depestre, Louis-Philippe Dalembert, Lyonel Trouillot, Frankétienne, Edwige Danticat, Gary Victor....C'est rare d'avoir autant d'écrivains sur un si petit espace.

Le festival Etonnants voyageurs devaient justement se tenir à Haïti en janvier pour la deuxième année consécutive. Il se tiendra à Saint-Malo en mai afin de rendre hommage à tous ces écrivains.

L'occasion de vous faire redécouvrir de superbes récits...

Tout d'abord, mon plus beau souvenir, un roman qui m'a marqué à vie,

Hadriana dans tous mes rêves de René Depestre 




On distingue souvent les écrivains haïtiens issus de l'immigration(en France :René Depestre, Louis-Philippe Dalembert ; au Canada: Denis Laferrière; aux Etats-Unis, Edwige Danticat) et ceux qui sont restés sur l'ïle; c'est le cas de Lyonel Trouillot. Mais comme le déclare ce dernier dans l'entretien du Monde des Livres, on ne peut opposer ces deux littératures: l'une qui parlerait d'évasion, d'ailleurs et l'aure qui serait ancrée au sol haïtien. Ainsi, l'émigré Dany Laferrière évoque ses souvenirs d'enfance dans l'île dans Les charmes d'une après-midi sans fin (paru au  Serpent à plumes).

 

 

René Depestre est l'un des plus grands écrivains haïtiens de ce siècle.

Ecrivain à découvrir d'abord pour sa vie personnelle chaotique: opposant au régime dictatorial de Duvalier en Haïti, il s'exile une première fois en France. Puis il part pour Cuba où il devient un proche de Catro. Mais critiquant la dérive du régime, il s'exile définitivement en France où il vit depuis 1978. Il a d'ailleur reçu le prix Renaudot en 1988 pour ce roman rempli d'exotisme.

Depestre se pose comme l'héritier de l'écrivain cubain Alejo Carpentier qui a inventé le concept de "réalisme magique"(repris par la suite par le grand Gabriel Garcia Marquez): ses romans sont marqués par l'empeinte du fantastique, du merveilleux faisant irruption dans le quotidien le plus banal.

Haïti est l'île qui a vu naître le vaudou: Depestre va donc convoquer cette cérémonie dans ce roman où les morts renaissent de leurs cendres...

Hadriana est la plus belle jeune fille de la ville Haïtienne de Jacmel. Le jour de son mariage qui est aussi jour de carnaval, elle est enlevée par un papillon (eh oui ! Rassurez-vous, ce papillon n'est autre que le plus grand dragueur de l'île qui a été transformé en papillon par le mari de l'une de ses conquêtes) . Elle meurt au moment de dire oui...

En fait, elle n'est pas si morte que cela! Elle a juste été transformée en zombie: son âme est retenue prisonnière alors que son geolier peut disposer de son corps à sa guise...

Quelle n'est pas la surprise du village lorsque le cercueil d'Hadriana est retrouvé vide après le carnaval....

Ce roman est une merveille: Depestre nous plonge dans les traditions de son île (le vaudou, le carnaval, le mythe du zombie) en nous contant une histoire rocambolesque. Contre le catholicisme (la famille du marié veut annuler le carnaval après la mort supposée d'Hadriana), Depestre exalte la joie de vivre et l'érotisme caraïbéens. Hadriana est donc enterrée au rythme des tambours du carnaval!

C'est également une magnifique histoire d'amour teintée à chaque ligne d'érotisme. Une excellente lecture pour s'évader et découvrir les traditions d'Haïti !

 

René Depestre est l'un des plus grands écrivains haïtiens de ce siècle.

Ecrivain à découvrir d'abord pour sa vie personnelle chaotique: opposant au régime dictatorial de Duvalier en Haïti, il s'exile une première fois en France. Puis il part pour Cuba où il devient un proche de Catro. Mais critiquant la dérive du régime, il s'exile définitivement en France où il vit depuis 1978. Il a d'ailleur reçu le prix Renaudot en 1988 pour ce roman rempli d'exotisme.

Depestre se pose comme l'héritier de l'écrivain cubain Alejo Carpentier qui a inventé le concept de "réalisme magique"(repris par la suite par le grand Gabriel Garcia Marquez): ses romans sont marqués par l'empeinte du fantastique, du merveilleux faisant irruption dans le quotidien le plus banal.

Haïti est l'île qui a vu naître le vaudou: Depestre va donc convoquer cette cérémonie dans ce roman où les morts renaissent de leurs cendres...

Hadriana est la plus belle jeune fille de la ville Haïtienne de Jacmel. Le jour de son mariage qui est aussi jour de carnaval, elle est enlevée par un papillon (eh oui ! Rassurez-vous, ce papillon n'est autre que le plus grand dragueur de l'île qui a été transformé en papillon par le mari de l'une de ses conquêtes) . Elle meurt au moment de dire oui...

En fait, elle n'est pas si morte que cela! Elle a juste été transformée en zombie: son âme est retenue prisonnière alors que son geolier peut disposer de son corps à sa guise...

Quelle n'est pas la surprise du village lorsque le cercueil d'Hadriana est retrouvé vide après le carnaval....

Ce roman est une merveille: Depestre nous plonge dans les traditions de son île (le vaudou, le carnaval, le mythe du zombie) en nous contant une histoire rocambolesque. Contre le catholicisme (la famille du marié veut annuler le carnaval après la mort supposée d'Hadriana), Depestre exalte la joie de vivre et l'érotisme caraïbéens. Hadriana est donc enterrée au rythme des tambours du carnaval!

C'est également une magnifique histoire d'amour teintée à chaque ligne d'érotisme. Une excellente lecture pour s'évader et découvrir les traditions d'Haïti !

Plus généralement, je pense que l'on peu distinguer une littérature chantant la magie de l'île, ses traditions (le vaudou et le carnaval par exemple) et une littérature mettant l'accent sur les évênements de l'histoire récente. René Depestre et Lyonel Trouillot incarnerait ces deux tendances. Mais devant la richesse de cette littérature, il serait dangereux de créer des typologies.

Je vous propose de découvrir quelques oeuvres emblématiques de cette littérature.

Alléluia pour une femme jardin de René Depestre: une ode à la femme et à la sexualité

Ce recueil de nouvelles font l'apologie de l'érotisme et de la fécondité; Depestre crée des scènes plus cocasses les unes que les autres: un jeune garçon tombe amoureux de sa tante Zaza, la plus belle femme de Jacmel; un aspirant prêtre voit ses rêves de chasteté anéantis en tombant amoureux d'une jeune servante. L'une des plus belles nouvelles est sans aucun doute "L'atlas du géolibetinage": le narrateur, étudiant à la Cité Universitaire de Paris (on reconnaît bien sûr l'auteur), ne croyant plus à l'idéal de civilisation européenne, se réfugie dans la sexualité la plus débridée; il dessine une carte du monde dont la taille des pays est proportionnelle au pouvoir érotique des femmes; c'est ainsi que les îles caraïbéennes ou les pays nordiques occupent plus de place sur la carte que l'Europe et les Etats-Unis ! Les épices font leur entrée en Suède...

Pour Depestre, il s'agit d'honorer la femme et de mettre fin à la vision judéo-chrétienne de la faute originelle: la femme est associée à la fécondité et à la fertilité. D'où son nom de femme-jardin. Elle fait partie du cycle de la nature tout comme l'eau, le vent et les arbres. La culture caraïbéenne honore la sexualié en tant qu'ode à la vie et rompt avec la culpabilité liée au sexe issue de la Bible.

René Depestre est pour moi le plus grand écrivain haîtien contemporain. Son parcours est exceptionnel : exilé d'Haïti pour avoir critiqué le régime de Duvalier, il vit à Cuba pendant 20 ans avant de goûter à un nouvel exil. Il vit désormais dans le sud de la France.

Il décrit comme personne la culture de son pays (le vaudou, le carnaval...). Son oeuvre entière est un hymne à la vie et à la joie.

Voir aussi la critique d'Hadriana dans tous mes rêves dans la rubrique Littérature étrangère contemporaine

Bicentenaire de Lyonel Trouillot: une description des événements de 2004

 

Lyonel Trouillot s'inscrit dans une toute autre optique; dans la plupart de ses romans, il décrit la pauvreté et l'apocalypse de son île. Au moment des événements de décembre 2003, il fut un membre actif du collectif "NON" réclamant le départ du Président Aristide. Au sein de son pays, il est un militant actif critiquant le régime dictatorial et prônant le passage à la Démocratie.

Le titre de cet ouvrage fait référence au bicentenaire de la création de la première République Noire de l'Histoire; elle fut créée par le célèbre Toussaint Louverture au moment de la Révolution Française et matée par l'armée napoléonnienne. Ce titre est bien sûr fortement ironique; le bicentenaire s'est terminé par la répression policière des manifestations étudiantes; Quelle régression...

Le roman est le récit d'une journée d'un jeune étudiant Lucien qui parcourt la ville de Port-au-Prince afin de se rendre à la manifestation fêtant le bicentenaire de la République de Toussaint Louverture. Au cours d'un long monologue intérieur, l'étudiant va se rappeler de sa mère aveugle restée à la campagne ,du parcours de son frère cadet qui a mal tourné et de la femme journaliste dont il est tombé amoureux. Avant de rejoindre la manifestation, il va donner des cours à un jeune bourgeois et tombe plus ou moins amoureux de sa mère...

Ce roman baroque , teinté de colère et de sang, est une tragédie; le lecteur sait dès la première page que Lucien va mourir; l'auteur opère un flash-back sur ses activités de la journée.

La construction de ce roman est très intéressante: le narrateur est omniscient mais il laisse parfois la parole à une multiplicité de personnages sous la forme de monologues intérieurs, ce qui crée une oeuvre polyphonique à plusieurs voix. Chacun s'exprime à tour de rôle: la mère aveugle clamant sa détresse, l'étudiant incarnant les espoirs d'une vie meilleure, le frère cadet qui a mal tourné faisant les quatre cents coups dans les rues de Port-au-Prince, le jeune bourgeois s'isolant avec sa game boy...

Ces monologues s'apparentent à des cris: les personnages se révoltent contre un destin injuste. Chacun semble incarner un choix de vie possible dans un milieu apocalyptique: la vie à la campagne, le choix des études, la délinquance...Trouillot se garde bien de prendre partie. Le roman est construit sur des alternalives: capagne/ville, études/délinquance, ici/voyage vers l'ailleurs...

Un roman tragique écrit en hommage aux victimes des manifestations de 2004.

 

L'autre face de la mer de Louis-Philippe Dalembert: la tentation de l'émigration

Louis-Philippe Dalembert, intellectuel émigré en France, est un grand voyageur: Amérique du Nord, Afrique Noire, Moyen-Orient, Europe... Sa littérature, influencée par ses voyages, est marquée par ce tiraillement entre l'amour de la terre natale et le désir de l'ailleurs.

 L'autre face de la mer se présente sous la forme de deux récits: celui d'une grand-mère, Grannie, qui nous compte son amour de l'océan et sa tentation de l'ailleurs; mais les événements politiques (notamment les relations belliqueuses entre Saint-Domingue et Haïti) ont empêché ce vieux rêve de se réaliser. Son petit-fils Jonas prend ensuite la parole; la situation politique est de plus en plus apocalyptique; nous assistons à une émigration massive d'haïtiens prenant la mer sur des troncs d'arbre. Ces deux récits sont scandés par des chants d'esclave venus du fin fond des cales négrières: une poésie sans ponctuation, une mélopée incantatoire qui relate toute l'histoire du peuple haïtien : le départ d'Afrique, l'installation dans les îles Caraïbe puis à nouveau la tentation du départ...

Louis Philippe Dalembert chante une ode à son île et à ses habitants. Le récit central décrit l'apocalypse haïtienne: la pauvreté, la ville infestée par les animaux, la violence...

Face à cet enfer, la vue de l'océan et le voyage vers un ailleurs plus facile incarnent l'espoir....

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28 janvier 2010 4 28 /01 /janvier /2010 22:27

Editions Buchet Chastel, 2008



Un an avant L'annonce, Prix des Libraires 2009, Marie-Hélène Lafon a écrit un magnifique récit sur la fin du monde paysan. Deux personnages, Marie et Jean, frère et soeur célibataires, derniers vestiges de la campagne profonde. Marie, la vieille fille soumise, observe derrière sa fenêtre la tribu des voisins, la grande famille qui, elle, s'est adaptée au monde d'aujourd'hui : agriculture intensive, conversion au tourisme vert, jeunes femmes modernes, enfants bruyants...Marie scrute, observe et envie. Mais elle sait que son destin est scellé.

L'auteur raconte le passé, le présent et le futur. Une jeunesse dominée par la mère autoritaire, un présent d'observatrice et un futur d'anéantissement.

Marie-Hélène Lafon épouse le regard de la vieille Marie ; la tribu des voisins devient sous sa plume une explosion de couleurs, de parfums, de sons. Ils prolifèrent, ils suintent, il éructent. Ecrivaine du corps et de la sensation, l'auteur se fait entomologiste de la perception : description du linge qui sèche dans le jardin (Marie admire les couleurs des maillots de bain des voisines), des fragances diverses et variées, des cris du voisinage.
Marie s'emplit de ce matériau sensitif ; d'ailleurs, dans cet espace confiné, tout est saturé : les journaux, le linge, les souvenirs prolifèrent. Ne manque que l'épanouissement et le bonheur.

Marie-Hélène Lafon a su retranscrire magnifiquement la fermeture et la fin d'un monde : accumulation de noms et d'adjectifs qui épousent intimement le réel. Comme a son habitude, le corps et ses épanchements sont très présents ; c'est par lui que s'exprime ce qui reste coincé dans la gorge.

Le lecteur épouse le regard de Marie, ses désirs et sa résignation. On ne peut être que touché par cette femme sacrifiée, passive, emmurée dans sa maison. Un très beau roman.

" Les cheveux des femmes des voisins étaient teints. A la messe on avait tout loisir d'observer : on voyait aux blondes solaires, aux rousses glorieuses, des racines marron, tenaces obtuses têtues. On ne rencontrait pas ces femmes chez la coiffeuse. Leur frénésie capillaire était intestine, familiale, mitonnée à la maison comme un ragoût. Les coiffures femelles oscillaient entre le négligé franc et massif du crin jaune de l'Alice et de savants chignons, fragiles, monumentaux, qui surgissaient aux moments de l'année les plus inattendus. Certains dimanches, on remarquait des coupes incongrues et très visiblement expérimentales, volontiers dissymétriques. Le poil de la tribu étant raide et rétif par nature,
on le frisait, on le chauffait, le bouclait, le tirebouchonnait ; on l'accablait de produits mirifiques commandés sur catalogue avant d'être appliqués dans la plus joyeuse incurie. Le cheveu était tour à tour natté, crêpé, tortillé de rubans, piqueté de barrettes, emberlificoté d'élastiques, plaqué sous bandeau, assommé sous turban, hérissé en papillotes.

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24 janvier 2010 7 24 /01 /janvier /2010 19:32

AFRIQUE DU SUD

Cette vie

Editions Phébus, 2009

Né en 1939 dans l'Etat libre d'Orange, Karel Schoeman est l'une des plus grandes figures littéraires contemporaines de l'Afrique du Sud (il écrit en langue afrikaans) . Ayant pris fait et cause pour le combat des noirs, il fut décoré de l'Ordre du Mérite par Nelson Mandela.Son oeuvre abondante a été traduite tardivement en France, par les éditions Phébus.
Son dernier roman, Cette vie, a obtenu le Prix Hertzog, la plus prestigieuse récompense littéraire d'Afrique du Sud.

Quelle découverte ! Karel Schoeman écrit un chef d'oeuvre à partir d'un personnage modeste à qui il n'est rien arrivé d'héroïque ; on pense notamment à Un coeur simple de Flaubert : nous sommes à la fin du XIXe siècle, en Afrique du Sud, dans la région du Roggeveld, l'une des plus inhospitalières d'Afrique du Sud. Au crépuscule de sa vie, alitée dans sa chambre d'enfant, une femme se souvient de "ce qu'elle a vu et entendu" : la vie de sa famille afrikaner, ses parents, de ses deux frères puis de ses neveux ; elle, la vieille fille un peu bizarre à qui on n'a jamais fait attention, à qui on n'a jamais vraiment donné d'affection.

Alors, ce soir, cette nuit, avant de mourir, la vieille femme solidaire va tenter de recoller les fragments, les éléments du puzzle pour raconter la vie de sa famille. Cette femme à qui l'on a jamais confié de secrets, à qui l'ont a jamais rien expliqué, va tisser les fils de la tapisserie, recoller les fragments pour tenter de raconter la vérité.

Des silhouettes tout en clair-obscur, telles des fantômes, vont alors surgir à la lueur de la bougie : le père, fermier travailleur à l'origine de la fortune de la famille, la mère, femme austère, ambitieuse, reniant son passé de nomade. Les deux frères ennemis, Jakob et Pieter, qui se disputent une femme. Ambitions, jalousie, secrets de famille. Dans les couloirs, derrière une porte, derrière un rideau, la femme voit, écoute, devine.

A travers cette voix humble, c'est toute l'histoire de la conquête de l'Afrique du Sud qui est racontée : splendeurs et misères des éleveurs, toute puissance de la religion, guerre des Boers...

Dans ce magnifique roman, pas d'aventures héroïques, non, juste le quotidien, rythmé par les saisons, les sécheresses et les hivers rigoureux...Les personnages se dessinent peu à peu mais gardent tout de même tous leurs secrets, que la vieille femme ne fait qu'effleurer. 

On pense à des scènes de peinture de Georges de La Tour : la vieille maison n'est éclairée qu'à la bougie et la vieille fille, la grande solitaire  entraperçoit  des silhouettes. Les souvenirs sont des éclats de lumière surgissant avant l'obscurité définitive.

Quant à l'écriture, très classique, on admire ces longues phrases amples, très simples mais aussi très lyriques magnifiant les paysages secs et désolés de l'Afrique du Sud.

Du grand art qui magnifie Madame tout le monde, une femme qui n'a vécu que du quotidien et à vécu à travers les autres. Mais cette nuit, la raconteuse d'histoires est au premier plan...tout simplement magique.

"Des mots et des images datant de plus de plus de plus de soixante-dix ans, des bribes de conversations, une petite phrase prononcée par une domestique à la cuisine, quelques mots d'un berger dans le veld, des anecdotes et des récits, des poèmes, des comptines, et les psaumes que nous chantions le soir, autour de la table du salon, ou plus tard, au temple du village: autant de scènes que je serais incapable de replacer dans leur contexte, la maison et la cour illuminées par le clair de lune, les reflets de la lune qui scintillaient dans le miroir, et au loin les étincelles sur l'eau du lac qui retenait la lumière...Voila ce que j'ai retenu et tout ce que je puis faire désormais, couchée dans cette chambre obscure où j'attends le sommeil, c'est passer tous ces souvenirs au crible, seule, sans main pour me guider, sans voix qui murmure à mon oreille. J'étais une enfant calme et timide dont personne ne remarquait la présence, une enfance curieuse au regard éveillé et attentif qui avait le don d'observer et de se souvenir et aujourd'hui encore, ma mémoire et ma raison sont intactes, même si ce sont les seules facultés qu'il me reste. Trier et classer les fragments, les pierres et les éclats, les bouts de chiffon, les fils, les rubans et les petits mots, reconstituer enfin cette histoire dont, pendant toutes ces années, j'ai été l'une des protagonistes, silencieuse et vigilante, dans mon coin, en retrait, peut-être aussi comprendre, voire pardonner, éliminer les tourments, les reproches et la souffrance inexprimés, solder les derniers comptes. Me souvenir.
Il faudrait que je me lève, que je remonte le temps et que je traverse les années, seule dans l'obscurité. Que je me déplace dans la maison endormie sans faire de bruit afin que nul ne m'entende, et que j'ouvre la porte d'entrée ; que je franchisse le seuil et que je m'aventure au-dehors"

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24 janvier 2010 7 24 /01 /janvier /2010 19:04


L'oiseau moqueur et autres nouvelles

Editions Denoël et d'ailleurs, 2008

Jean Rhys est née en 1890 aux Antilles britanniques d'un père anglais et d'une mère créole. Adolescente, elle s'installe à Londres.
Jeune femme libre aux amours orageuses, Jean Rhys est de toutes les bohèmes, de Paris à Vienne. Dans les années 30, elle publie successivement quatre romans, Quai des Grands-Augustins, Voyage dans les ténèbres, Bonjour minuit et Quartet.
Après un long silence, elle connaît enfin le succès avec La Prisonnière des Sargasses en 1966. Elle décède en 1979.

L'ensemble de son oeuvre est à l'image de sa vie : portraits de femmes et de personnes cabossées par la vie, entre solitude et alcoolisme, nostalgie du pays natal ; de très beaux portraits de femmes déchues, au grand coeur, mais trompées par les hommes et la vie en général.

Ce recueil est un ensemble de nouvelles douces-amères se déroulant le plus souvent dans les cafés années 30 de Paris et de Vienne. De très beaux portraits de cabossés qui ont dû subir la vindicte de leur entourage et de la société car ils étaient trop passionnés, qu'ils refusaient la demie-teinte. Tour à tour nostalgiques ou sarcastiques, les nouvelles honorent la tragique solitude qui magnifie les victimes. Une mention spéciale à Dorothy Dufreyne qui croise dans la nuit parisienne son alter ego solitaire et à cette pauvre femme qui regrette tant de ne pas s'être suicidée avec son beau Carlo dans la forêt...

Mélancolie, solitude...On pense parfois à des tableaux de Hooper avec ces femmes dans des bars aux regards rêveurs...

Une ode aux exclus...A découvrir

"L'envie sauvage qui la tenait de prendre sa revanche sur le genre humain s'était transformée en une extraordinaire lucidité. Elle venait de comprendre, encore maladroitement, mais pour la première fois, que seuls ceux qui n'ont plus d'espoir peuvent se permettre de ne plus mentir, que seuls ceux qui sont malheureux peuvent offrir de la sympathie ou en recevoir -qu'ils partagent l'amère et dangereuse volupté de la misère"

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17 janvier 2010 7 17 /01 /janvier /2010 19:03

Editions Buchet-Chastel, 2003

Sur la photo

Marie-Hélène Lafon a été révélée cette année à un plus large public par L'annonce. Mais elle a écrit auparavant une dizaine de récits magnifiant la campagne profonde et ses habitants solitaires.

Dans cet étrange récit, centré autour d'une figure masculine, Rémi, elle fait alterner les photos d'enfance et les photos d'aujourd'hui, les scènes de la ferme auvergnate et celle d'aujourd'hui, Porte de Bagnolet où, Rémi s'est établi professeur, marié et père d'une petite Louise.

Bien sûr, Rémi collectionne des photos et écrit des choses derrière. Mais là n'est pas l'essentiel. Le titre évoque surtout le style de Marie-Hélène Lafon, celui de décrire le réel en instantanés photographiques, les souvenirs ou le temps présent. Aucun dialogue, uniquement de la narration.
Car, avec un abondance d'adjectifs, de couleurs, d'odeurs, l'écrivain se saisit à pleine main du "matériau" réel ; on est dans le concret pour mieux taire ses sentiments ; Rémi est un solitaire, un taiseux mais il saisit tout autour de lui, les couleurs, les odeurs, les fluides : scènes de jeux, d'amour, traite des vaches, scène de maquillage de ses soeurs.

Tout est vu à travers son regard. On retient que le personnage capte uniquement l'univers féminin : les parents sont absents devant l'appareil photo ; tout d'abord, il y a les soeurs, puis ensuite sa femme et sa fille. Des instants de vie, de la toilette au maquillage en passant par le travail à la ferme ou le fait de jouer à la poupée.
Le sexe et les fluides (urine, sperme, sueur) sont très présents.

Des événements, il y en aura un ou deux mais l'auteur ne recherche ni l'exceptionnel, ni l'aventure. Elle décrit des instants de vie, tout simplement. Puis un jour, le chemin de la vie bifurque...

Intéressant bien que parfois long (même si le récit ne fait que 150 pages...). On ne retrouve pas ce langage suranné, ce goût du mot rare qui fait tout le charme de L'annonce.

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17 janvier 2010 7 17 /01 /janvier /2010 12:23

1960

La promesse de l'aube

Editions Gallimard, Folio

C'est le deuxième titre de Romain Gary que je découvre après La vie devant soi; son autobiographie, l'histoire de sa relation fusionnelle avec sa mère. Sûrement l'un des plus beaux récits sur l'amour maternel avec Le livre de ma mère d'Albert  Cohen.

En exergue, cette citation qui résume tout le livre :

"Il n'est pas bon d'être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ça vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c'est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte là-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu'à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous sert sur son coeur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d'amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passés à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n'y a plus de puits, il n'y a que des mirages. "

Ce récit est l'histoire de la jeunesse de Romain Gary, de sa Russie natale jusqu'à la Seconde Guerre mondiale où il s'engage comme aviateur dans la Résistance. au centre de cette "aube" l'amour que lui porte sa mère qui rêve qu'il devienne un héros,  "un général, un Gabriele d'Annunzio, un Ambassadeur de France". Dès son plus jeune âge, le petit Romain s'essaie à toutes sortes de "génie potentiels" : violon, peinture, jonglage...mais très vite, c'est le virus de l'écriture qui le contamine...Lorsque la guerre se déclare, ,il promet à sa mère de devenir un héros, un gradé...

A travers cette histoire d'amour maternel, on découvre aussi l'histoire d'une famille d'immigrés, de Russie à la France, en passant par la Pologne. La mère lui fait aimer le mythe français malgré les déceptions.

Que dire de ce livre ? Il s'agit d'un véritable cri d'amour écrit dans une prose généreuse, lyrique. A une époque où la littérature française se veut minimaliste, quel bonheur de redécouvrir le verbe de Gary, tragi-comique, théâtral, souvent grandiloquent. La phrase s'élance, s'élève, l'auteur est emporté par son amour ou sa révolte.

On y découvre des summums de scènes burlesques comme lorsque sa mère débarque sur une piste d'atterrissage avec ses jambons, saucissons et pots de confiture. Ou alors qu'elle débarque avec les livres de Romain sur le marché de Nice et qu'elle invective les marchands... Comment ne pas oublier également le combat de Gary contre son occlusion intestinale, lorsque qu'il se dresse tout nu de son lit d'hôpital, avec son chapeau d'officier, alors qu'il reçoit l'extrême onction !

Tout le talent de Gary est dans ce ton tragi-comique...qui prouve, à l'opposé de Gide, qu'il peut y avoir de bonne littérature avec des bons sentiments...

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11 janvier 2010 1 11 /01 /janvier /2010 11:59

RENTREE LITTERAIRE 2009

Par effraction

Editions Allia

Un petit récit très original, à la fois très contemporain dans sa forme et par son thème mais très classique par la "belle" langue employée.

Un récit emboîté, à tiroirs, qui superpose plusieurs personnages, plusieurs intrigues. Le tout constitué de courts chapitres ou paragraphes, souvent sur une ou deux pages, comme des instantanés, des coups de projecteur...Cela tombe bien, l'un des thèmes principaux est le film, le super-8 des films de famille.

Tout commence par un récit extrêmement précis des événements qui déclenchent l'action : le narrateur, qui se désigne par "vous", raconte qu'il a trouvé aux Puces de Clignancourt un carton jauni renfermant des films super-8. Un jour, il ou elle décide de les visionner par bribes : sur l'écran, une jeune fille bourgeoise, filmée par son père puis par son fiancé jusqu'à 30 ans, dans une grande maison avec gouvernante et jardiniers.

Courts épisodes, paragraphes comme des flash..Ces chapitres alternent avec un autre récit, celui d'A..., télépathe, qui entend la voix de tout le monde, et qui rêve de s'évader dans un monde de silence. Entre ces deux mondes d'effraction, qui se déroulent tous les deux dans de vieilles maisons bourgeoises, des épisodes très oniriques, évoluant vers le fantastique dans un milieu très aquatique. Visions et rêves du narrateur ? D'Aurore ? Nul ne le sait...

Un thème relie des récits : l'effraction, la non séparation entre public et privé : un personnage est filmé de saisons en saisons, d'âges en âges. L'autre pénètre dans l'âme des autres mais rêve d'en sortir...L'une est traquée ..L'autre traque contre son gré.

L'intrigue reste ouverte à l'interprétation du lecteur. Le narrateur est-elle Aurore ou A... ou un tiers ?  Là n'est pas l'important. Hélène Frappat signe ici un étrange récit d'atmosphère entre décor paradisiaque, inquiétude et onirisme.

L'écriture, délicieusement précieuse et surannée, ne fait qu'envoûter encore davantage le lecteur. Sur un thème très contemporain (le voyeurisme, la fin de la distinction entre sphère publique et sphère privée), l'auteur construit une intrigue très mystérieuse, un peu à la façon de Hitchcock. On pense également aux silhouettes nervaliennes, apparitions mystérieuses féminines dans de vastes propriétés.
Elle évite les pièges du récit expérimental qui bien souvent "refroidissent" la langue. Les décors surannés et les récits oniriques font naître une douce poésie.

"Plusieurs années plus tard, elle comprendrait que le véritable silence est celui dont on jouit, un court instant qui nous paraît éternel, en compagnie, lorsque le chaos fatigant sans trêve la tête des hommes s'atténue (pour les humains, même les lignes d'eau ressemblent à des lignes d'écriture que leur esprit, jamais en sommeil, remplit en nageant), seul subsistant le murmure, identique en tout être humain, des forces vitales.

Rêves de fils électriques dans le vent. La nuit, l'air silencieux s'emplit de voix pour ceux qui savent les entendre ; l'obscurité se peuple d'esprits pour ceux qui savent les voir. Sont-ce les vivants, ou bien les morts qui me parlent ? Les voix des esprits anonymes , aiguës et fluettes, tremblent sur une bande usée ; elles sifflent comme des fils électriques dans le vent.
Je reçois sans ordre d'anciennes légendes, énigmes enfouies au fond des malles aux greniers, hantises dérisoires ou tragiques arrachées au royaume des morts (une femme en blanc, dressée sur le rebord du pont à la sortie du village, désigne aux promeneurs imprudents la source, jaillissant des rochers en cascade, où son époux se noya. Sa robe blanche l'enveloppe comme un banc de brouillard sous la lune, ou l'éclat intermittent des lucioles ou bord des routes. "

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