Pour vous, quel est le roman ou le poème qui vous vient à l'esprit lorsqu'on évoque le thème du voyage?
Un roman d'un écrivain voyageur m'a beaucoup marqué : Méroé d'Olivier Rolin (description des paysages du Soudan, de son histoire, portrait marquant d'un archéologue...). Voici l'article que j'avais publié le 1/09/2005.
Un récit de voyage, un roman historique et sentimental
Autant le dire tout de suite: Olivier Rolin est considéré par les critiques littéraires (et par moi !) comme l'un des plus grands écrivains français contemporains. Journaliste-reporter, militant en mai 68, Rolin peut être considéré comme un écrivain voyageur.
Ce roman protéiforme nous emmène au Soudan où le narrateur s'est exilé pour oublier un chagrin d'amour. La-bas, il rencontre un mystérieux archéologue qui semble se passionner pour des vestiges qui ne semblent intéresser personne. C'est l'occasion de découvrir les magnifiques richesses d'un pays très peu connu: il n'est pas inutile de rappeler que le Soudan est toujours apparu comme une enclave isolée au milieu de l'Afrique, défiant les lois du temps et pérénnisant les civilisations disparues: alors que la civilisation égyptienne avait disparu, le royaume de Kerma a connu le régime des pharaons noirs jusqu'au Moyen-Age. Pareil pour le royaume chrétien de Méroé , seule enclave chétienne dans une Afrique tombée sous le joug des musulmans.
Dans ce roman, l'ensemble de ces personnages semblent vouloir s'enterrer dans des lieux perdus et être paradoxalement fasciné par l'échec et la mort. On pense tout de suite au Rivage des Syrtes de Julien Gracq ou Le désert des Tartares de Dino Buzzati: Rolin et ses personnages s'enfoncent progressivement dans un no man's land où seule la mort peuvent les libérer; l'écrivain construit un fascinant jeu de miroirs, de correspondances entre les différents personnages: le narrateur tente de retrouver son amour perdu en une jeune prostituée à Paris et en la nièce de l'archéologue Vollander. De même, le narrateur est le double de l'archéologue, lui-même le double d'un général anglais du XIXe siècle, Gordon, qui s'est laissé engloutir par les rebelles lors du siège de Karthoum.
Les personnages semblent tous détenir un secret qui les conduit peu à peu à l'anéantissement.
L'écriture, comme toujours chez Rolin, est envoûtante. Ce roman d'une richesse incroyable tient à la fois du roman sentimental (thème de la rupture amoureuse), du roman d'aventures et roman policier. Mais chut, j'en ai déja trop dit !
En ce qui concerne la poésie, je dis tout de suite L'invitation au voyage de Baudelaire !
L'invitation au voyage
Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l'âme en secret
Sa douce langue natale.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde ;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
- Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'hyacinthe et d'or ;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté