INDE
Editions Robert Laffont, collection « Pavillons », 2006
Puisque la littérature indienne était à l’honneur lors du Festival Etonnants Voyageurs à Saint-Malo, j’ai décidé de me plonger dans la littérature indienne contemporaine ; je connaissais déjà Salman Rushdie et VS. Naipul (Prix Nobel de littérature). J’ai découvert récemment Anita Desaï et Arundhati Roy.
Voici ma dernière découverte : Amitav Ghosh. Tout comme les auteurs précédemment cités, cet auteur écrit en anglais ; sa littérature est à la frontière de l’Orient et de l’Occident. Né en 1956 à Calcutta, il a passé son enfance au Bangladesh, au Sri Lanka, en Iran et en Inde. Il vit actuellement à New-York après avoir enseigné à l’Université de Delhi.
Sa littérature brasse donc plusieurs cultures et regorge d’aventures et de voyages.
Le pays des marées est son dernier roman. Il nous plonge dans la région marécageuse du golfe du Bengale, à la frontière de l’Inde et du Bangladesh, à la confluence du Gange et du Bramahpoutre. A travers le destin de personnages attachants, Ghosh nous retrace l’Histoire de la colonisation d’une région de mangroves, d’îles luttant contre l’eau et les intempéries. Il y a de magnifiques descriptions de paysages insulaires entre mer et forêts. Les tigres, les crocodiles et les dauphins viennent enchanter cette contrée.
Kanaï, un traducteur sophistiqué de Calcutta, débarque dans le pays des marées pour recevoir le cadeau de son oncle défunt : un manuscrit écrit peu avant sa mort, une sorte de testament spirituel. Il y croise la route de Piya, une cétologue américaine venue étudier le comportement des dauphins d’eau douce. Cette dernière va être aidée par Fokir, un pêcheur illettré, qui va la conduire sur la route des dauphins. Le cœur de Piya va bien sûr osciller entre l’illettré Fokier et le raffiné Kanaï. …
Alors que Kanaï va découvrir les derniers jours de son oncle, un ex-révolutionnaire qui décide de s’engager pour la cause de réfugiées bengalis au crépuscule de sa vie ainsi que la lutte des hommes pour conquérir un territoire hostile, Piya va lutter pour la protection de l’environnement et des espèces animales menacées par la colonisation humaine.
Amitav Ghosh évite tout manichéisme entre une colonisation qui serait à condamner et l’écologie sans prise en compte du facteur humain en évitant de prendre partie pour l’un ou pour l’autre : ainsi, il met en scène la répression dans le sang de la colonie des réfugiés bengalis par les autorités indiennes.
L’oncle de Kanaï incarne l’idéalisme révolutionnaire qui rêve d’une utopie où tout être humain aurait sa propre terre ; il trouvera la mort au côté des réfugiés bengalis luttant pour leurs terres. Amitav Ghosh nous raconte l’humanisation progressive des îles du pays des marées grâce à l’action de David Hamilton, un lord anglais du début du siècle, qui distribua des terres aux pauvres paysans et installa des infrastructures sociales et culturelles au service de la population. Piya incarne une autre utopie, celle du respect de la nature.
En nous emmenant au cœur de ces deux idéalismes (la société humaniste et la nature inviolée), Ghosh nous fait découvrir également les légendes et mythes de cette région du Bengale : les dauphins messagers de Bon Bibi, la déesse protectrice qui lutte contre Dokkhin Rai, un puissant souverain démon qui commande à tout être vivant dans la forêt. Au lendemain d’un conflit entre le bien et le mal, Bon Bibi prend sous sa protection le marais désormais habitable alors que la jungle sera pour toujours soumise à l’emprise des démons. Mais parfois l’avidité humaine peut passer outre cette frontière…
A travers cette légende, Ghosh fait s’entrecroiser avec talent la culture musulmane et hindoue. Une bonne occasion de découvrir cette région peu connue du Bengale….
Je vous conseille de dévorer rapidement ce roman hors norme : le romanesque (l’amour, l’aventure, le suspens) se mêle savamment à l’étude anthropologique de la région (milieu climatique, zoologie, contes et légendes…) Un régal !