PRIX FEMINA 2006
Après une délibération bien mouvementée au sein du jury féminin (exclusion de Madeleine Chapsal pour propos diffamatoires et démission de Régine Desforges par solidarité !!!), deux femmes ont été mises à l'honneur pour le Prix Fémina 2006 :
Pour le roman francophone : Nancy Huston pour son roman Lignes de faille .
L'écrivain canadienne , habituée des succès de librairies, m'avait enthousiasmée il y a quelques années avec L'empreinte de l'ange :
Une magnifique histoire autour du poids de l'Histoire et de la culpabilité : une jeune femme allemande se marie et accouche d'un petit garçon ; mais le bonheur ne semble avoir aucune prise sur elle, indifférente à tout ce qui l'entoure. Son mari, un flûtiste professionnel, cherche à savoir en vain ce que lui cache sa femme.
Mais c'est à un luthier juif hongrois qu'elle dévoilera son douloureux passé. Ils vivront ensemble une histoire d'amour passionnée mais le destin en décidera autrement....
J'ai lu ce roman il y a quelques années, je ne me souviens donc plus vraiment des détails mais cette histoire très noire m'avait profondément émue.
Et vous, avez-vous déja lu des romans de Nancy Huston ?
La deuxième lauréate, pour le Fémina étranger, est la grande romancière irlandaise Nuala O'Faolain pour son roman L'histoire de Chicago May.
Il ne me reste plus qu'à republier la critique de ce roman que j'avais écrite il y a quelques semaines :
Editions Sabine Wespieser, 2006
Voici enfin ma critique du dernier O'Faolain . Après les critiques divergentes de Cuné (Cunéipage) et d'Alice (La lettrine), j'ai eu envie de me faire mon propre avis : eh bien, j'ai adoré !
Je n'avais jamais lu les oeuvres de la célèbre écrivain irlandaise et j'ai bien l'intention de les lire.
Ce qui est fort dans ce livre, c'est que Nuala O'Faolain noue une intrigue extrêmement romanesque à partir du réel et d'une documentation très précise. Elle invente un nouveau genre qui mêle à la fois la fiction, le documentaire et l'autobiographie.
Tout a commencé ainsi : l'auteur découvre par hasard l'autobiographie de Chicago May, une célèbre prostituée et braqueuse irlandaise du début du XXe siècle qui a émigré aux Etats-Unis. En parcourant différentes bibliothèques des Etats-Unis et le village natal de May en Irlande, elle retrace avec minutie le parcours de la célèbre hors-la-loi et décide d'écrire sa biographie.
Cette création est vue à la fois à travers un regard objectif ( les différents chapitres retracent les différentes étapes de la vie de May, des photos d'époque illustrent les propos de l'écrivain qui nous parle également de ses sources : voyages dans les bibliothèques, dans les hôpitaux et les prisons où a séjourné l'héroïne) et un regard subjectif ( May est vue comme le double de l'écrivain qui explique pourquoi elle a choisi cette femme comme sujet d'étude : May et Nuala ont quitté l'Irlande pour l'Amérique, elle n'ont jamais eu d'enfant....). L'auteur s'interroge constamment sur le bien fondé de son analyse : comment rendre compte des états d'âme de May alors que sa biographie ne raconte que des faits ? Peut-on avoir recours à l'imagination pour combler les vides ?
Sa démarche n'est pas si éloignée de celle de Nathalie Sarraute dans Enfance même s'il s'agissait là d'autobiographie. A l'ère du soupçon, on doute de la véracité de tout ce que l'on peut écrire ; c'est pourquoi la narratrice est omniprésente pour nous faire part de ces hésitations.
Voila pour l'innovation. Sinon, nous sommes plongés dans une folle intrigue romanesque : une femme éprise de liberté choisit de quitter sa pauvre terre d'Irlande pour tenter le rêve américain à la fin du XIXe siècle : c'est encore l'époque des pionniers et O'Faolain décrit à merveille l'ambiance des saloons. May est prostituée et danseuse, elle fuit l'Amérique pour la France où elle braque une banque à Paris. Puis c'est le départ pour l'Angleterre où commence une période de déchéance. Amour, jalousie, trahisons...Tout est là pour faire vibrer le lecteur. Puis vient enfin le temps de la rédemption.
L'écrivain décrit avec beaucoup de talent l'émergence du XXe siècle : description de l'Exposition Universelle, émergence des grandes villes...Nous passons des plaines désolées d'Irlande à la vie trépidante de Chicago, de New York en Londres en passant par Paris et Rio. La lutte pour l'indépendance irlandaise est également évoqué avec brio, de même que la période de la prohibition et l'émergence de la police moderne.
Pour résumer, voici un roman très original qui mêle la tradition ( importance du romanesque, splendeurs et misères d'une héroïne) à la modernité (interrogation sur la valeur de la biographie, fiction documentaire...)