ALLEMAGNE -Arno Schmitt (1914-1979)
Editions Tristram
Arno Schmitt est l'un des plus grands écrivains allemands de la seconde moitié du XXe siècle. Encore largement méconnu en France, son oeuvre est vénérée en Allemagne et étudié dans beaucoup d'universités.
Il a profondément renouvelé la littérature allemande d'un point de vue formel ( on le compare souvent à Raymond Queneau pour ses inventions langagières et à Joyce, son modèle, pour la forme morcelée, fragmentaire de ses romans) et aussi d'un point de vie thématique : Arno Schmitt a été un écrivain profondément irrévérencieux, provocateur vis à vis de toutes les idéologies d'après-guerre. Son oeuvre la plus connue, Scènes de la vie d'un faune,raconte la vie d'un fonctionnaire dans L'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre Mondiale ; plutôt que de s'engager, il choisit la solitude en s'intéressant à un déserteur de l'armée napoléonienne...
Pour découvrir cette oeuvre très originale, j'ai commencé par lire la nouvelle très humoristique Tina ou l'immortalité où Schmitt renverse le mythe de la gloire littéraire : il imagine un enfer des écrivains où ces derniers doivent vivre après leur mort tant que leur nom est cité et qu'ils sont lus dans le monde d'ici-bas ! Un écrivain, le double de Schmitt a la possibilité de visiter ce purgatoire littéraire; il y rencontre Tina, dont il tombe éperdument amoureux ; cette dernière lui demande de régler ses comptes au biographe qui l'a sortie de l'oubli ; en guise de récompense, il pourra alors la rencontrer tous les midis !!!
Cette nouvelle est vraiment très drôle :on découvre la rivalité des écrivains entre eux qui pour se venger de concurrents, font descendre des idées dans le monde sensible pour les remettre au goût du jour ! Gutenberg se terre dans les forêts obscures et a constamment la jambe dans le plâtre pour avoir inventé l'imprimerie ...On assite à des rixes entre écrivains et biographes...Des conseils sont donnés aux écrivains : ne pas laisser de mémoires, racheter ses livres. Pour embêter son pire ennemi : graver son nom sur une plaque d'argent, la mettre dans un tube de verre et dans une cassette de plomb plongée dans la mer....
Schmitt pratique l'ironie mordante avec une énorme dose de provocation. La dernière phrase de la nouvelle est à inscrire dans la mémoire littéraire universelle :
" et par conséquent quelle est la meilleure recette pour une vie sur terre en général, en haut comme en bas : s'installer à la campagne. Etre bête. Baiser. Fermer sa gueule. Aller à l'église. Quand il grand homme pointe son nez, se planquer dans l'étable : il ne risque pas de t'y suivre ! Voter contre l'enseignement et de la lecture et de l'écriture; pour le réarmement : les bombes atomiques ! "
La forme littéraire peut à première vue déconcerter car Schmitt choisit d'écrire par fragments : tout comme Joyce, il commence chaque paragraphe, chaque fragment par un groupe de mots en italiques qui annonce le thème du paragraphe.
Vous ne serez pas déçus : cette lecture est vraiment un très bon divertissement plein d'inventivité !