Albin Michel- Rentrée littéraire 2005
Voici le dernier roman de Sylvie Germain que j’ai découvert il y a deux semaines seulement avec Le livre des nuits (voir ma critique dithyrambique !) Le livre des nuits, sa première œuvre, garde ma préférence, mais Magnus est également un très beau roman. On retrouve les thèmes favoris de l’écrivain : la présence de la guerre, la réflexion sur le mal, le goût du tragique et du mysticisme mais ici, nulle trace de fantastique. Magnus est l’histoire tragique d’un homme qui a perdu la mémoire à l’âge de cinq ans pendant la seconde guerre Mondiale. Nous le suivons de l’enfance à l’âge mur. Il porte le même nom que son ourson qui porte une étrange odeur de roussi :l’une de ses oreilles est brûlée…Quel est le secret de cet ourson ? Pourquoi a-t-il le même nom que lui ? Le roman livre lentement la réponse… Au début du roman, il admire sa mère qui lui raconte la légende de la famille : deux frères morts sur le front et le pauvre Magnus qui a perdu la mémoire à cause d’une étrange maladie. Mais derrière la légende, se cache une réalité toute autre : le père, très distant, est médecin qui soigne le typhus dans un grand établissement, autrement dit médecin au service des SS. Magnus l’apprendra très tôt lors de la déroute de l’Allemagne en 1945 et de la fuite des coupables. Sa famille change de nom et son père émigre en Amérique Latine… Ce n’est que le début d’une longue histoire pleine de rebondissement… Au fil des années, Magnus va partiellement recouvrer la mémoire et lutter contre le mal incarné par son père. Quitte à y perdre ce qu’il a de plus cher… Ce roman nous déroute et nous émerveille par sa construction qui laisse la part belle à la surprise et aux rebondissements. Les chapitres deviennent des fragments pour matérialiser la mémoire morcelée de Magnus. La narration classique alterne avec des Notules ou des Séquences, souvent des biographies ou des extraits de romans ou de poèmes. Le roman est comme un puzzle que l’on reconstitue tout comme le personnage de Magnus. Magnus est un être dont le destin est d’être persécuté par le mal et la mort tout comme Nuit d’or Gueule de loup du Livre des nuits. A la réflexion sur le mal incarné par la figure du médecin hitlérien, s’ajoute une réflexion magnifique sur la mémoire : Magnus et un homme fragmenté, obsédé par le trou noir de son enfance. Il se cherche et finira par se trouver car il écoutera la voix du souffleur qui est en lui. Jugez la beauté de ces premières lignes : « D’un éclat de météorite, on peut extraire quelques menus secrets concernant l’état originel de l’univers… L’immémorial est pailleté de traces, infimes et têtues … Quant aux blancs, aux creux, aux échos, aux franges, cela fait partie de toute écriture, car de toute mémoire. Et ce silence n’est ni pur ni paisible, une rumeur y chuchote tout bas, continûment. En chacun, la voix d’un souffleur murmure en sourdine, incognito voix apocryphe qui peut apporter des nouvelles insoupçonnées du monde, des autres et de soi-même, pour peu qu’on tente l’oreille ».