GRECE
Editions Galaade, 2016
Rhéa Galanaki est une grande figure de la littérature grecque contemporaine...mais est méconnue en France.
Elle signe chez les éditions Galaade ( chez qui est paru l'année dernière l'inoubliable Encore d'Hakan Gundaï) un très beau roman sur la Grèce contemporaine, tout en faisant allusion à l'histoire antique du pays.La crise économique vue comme une tragédie moderne...
Le narrateur parle à la deuxième personne du singulier...Il s'adresse à Tirésia, une vieille dame sénile, qui vit dans un foyer avec Nymphe, sa compagne d'infortune.
Ces dernières ont changé de prénom il y a pas si longtemps que ça afin d'affirmer leur liberté...
Nous sommes à Athènes en 2012. Le Parlement signe le énième plan d'austérité. Les retraites risquent encore de diminuer...Les foyers risquent bien de disparaître, leur déclare Danaé, l'assistante sociale, venue fêter l'anniversaire de Nymphe, en compagnie de Catherine, l'aide ménagère et Yasmine, la femme de ménage. Du côté des hommes, il y a Oreste, le fils de Nymphe, militant d’extrême gauche et le dénommé "patriarche", sorte de médecin protecteur des deux vieilles dames.Sans oublier Takis, le militant d’extrême droite, fils de Catherine.
Les 2 vieilles dames veulent encore affirmer leur liberté malgré leurs faiblesses. Alors ce soir là, elles ont décidé de fuguer et de rejoindre le cortège des manifestants...Quitte à ne pas retrouver leur chemin après...
En dignes anciennes professeurs de lettres et d'arts plastiques, elles reconnaissent le chœur du théâtre antique dans les slogans des manifestants. La place de la constitution, avec ses 2 niveaux, ne reconstituent-elle pas les 2 niveaux de la scène tragique antique, la scène et le public ?
Et c'est en cela que réside le talent inouï de Rhéa Galanaki : tout en décrivant des scènes burlesques (les 2 mamies complètement séniles déambulent dans un curieux accoutrement dans les rues d'Athènes), l('auteur parvient à faire un portrait brillant de la Grèce contemporaine tout en faisant le parallèle avec la génération d'étudiants qui a mis fin à la junte des colonels (manifestation de l'Ecole polytechnique en novembre 1973)
Est-ce cette génération là qui est responsable d'avoir fait sombrer la Grèce dans une crise sans précédent ?
Rhéa Galanaki signe un beau "roman du réel" en faisant revivre cette nuit de février 2012 où le centre d'Athènes a été incendié et ses monuments en marbre mutilés. Alors que deux jeunesses du pays s'affrontent, l’extrême gauche et l’extrême droite (parti de l'Aube dorée), les sans abris se multiplient. En descendant dans les bas-fonds, les 2 grands mères à la fois candides et téméraires vont découvrir l'adversité mais aussi la réalité et l'entraide.
L'auteur réactualise le mythe de la tragédie et écrit une belle ode à la ville athénienne. Tirésia et Nymphe, c'est Ulysse perdu dans les dédales d’Athènes ou Ariane dans le labyrinthe. Au bout du chemin, elle parviendront sans doute à retrouver leur route même si Athènes est un véritable minotaure.
Dire le contemporain tout en ravivant la tragédie antique, tel est le dessein de ce magnifique roman. Comme l'écrit si bien l'auteure, la littérature est une sorte de connaissance du monde qui dit beaucoup plus de chose qu'un essai d'économie ou de sociologie.
Qu'elle humanité dans ces personnages ! Le chômage, la pauvreté, l'immigration, le nationalisme, les minotaures d'aujourd'hui s'incarnent dans des âmes qui doutent, qui errent mais qui, par la force de la solidarité, finiront par sortir du labyrinthe.