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Le grand écrivain turc, Orhan Pamuk, vient de recevoir le Prix Nobel de Littérature.
A l'heure des négociations de l'entrée de la Turquie en Europe, ce prix est évidemment très politique. Rappelons qu'Orhan Pamuk a été condamné en Turquie pour avoir reconnu publiquement le génocide arménien ainsi que le massacre du peuple kurde.
Le grand écrivain turc a toujours mis les liens entre l'Orient et l'Occident au centre de son oeuvre, du XVIe siècle à nos jours. Son oeuvre dénonce toute sorte d'intégrisme et est un appel à la tolérance et aux échanges culturels.
J'ai lu deux romans de lui, Mon nom est rouge et Neige qui valent autant pour leur message que pour leur qualité littéraire. Car, n'en doutons pas, Pamuk est un grand écrivain et il mérite amplement ce prix, indépendamment du contexte politique.
Je vous propose donc de relire mes deux critiques parues sur mon blog . Avez-vous lu les oeuvres de Pamuk? Lesquelles?
Neige
Gallimard 2005 -Prix Médicis du roman étranger Orhan Pamuk, l'écrivain turc le plus lu aujourd'hui en Europe (avec Yachar Kemal) est un écrivain engagé poursuivi par le gouvernement turc pour avoir dit publiquement que son pays était responsable de la mort de plusieurs milliers de kurdes et de millions d'Arméniens. Il risque de six mois à trois ans de prison. L'ensemble de ses romans examine les liens entre l'Occident et l'Orient que ce soit au XVIe siècle (Mon non est rouge-voir article) ou de nos jours. C'est le cas de Neige son dernier roman: Ka, un poète - journaliste turc exilé politique en Allemagne, part faire un article à Kars, un village reculé de l'Anatolie; il veut enquêter sur un fait divers sordide: le suicide de jeunes femmes voilées. Il arrive à la veille d'élections municipales où s'affrontent nationalistes, islamistes et laïcs. Mais Ka est aussi venu pour de plus humbles raisons: rejoindre une ancienne camarade de fac, Ipeck, dont il est secrètement amoureux. A peine arrivé à Kars, il est témoin de l'assassinat du directeur de l'Ecole Normale qui a interdit le port du voile et d'un putsch militaire à l'occasion d'un spectacle de propagande. A partir de ce moment, il va être sollicité par les membres des deux factions adverses: les étudiants islamistes avec leur chef, Lazuli, amant de la soeur d'Ipeck d'un côté et les ultralaïcs de l'autre: l'acteur Sunay, acteur de théâtre s'improvisant dictateur d'un jour soutenu par les militaires.
Au sein de ces luttes intestines, Ka veut d'abord assurer son bonheur (repartir en Allemagne sain et sauf avec Ipeck) et écrire ses poèmes inspirés de la neige qui paralyse les routes et isole le village tombant peu à peu dans l'anarchie...
Dans cette atmosphère très poétique, Pamuk se garde bien de signer un roman manichéen: en effet, la lutte contre les islamistes est menée par des militaires anti-démocrates ou des acteurs fantoches, dictateurs d'un jour. Pamuk critique également les ultralaïcs qui prônent la lutte contre les islamistes au mépris de la démocratie. Les Occidentaux en prennent aussi pour leur grade en soutenant les militaires qui mâtent les islamistes et en regrettant l'absence de démocratie en Turquie. Les laïcs prônant la démocratie méprisent la culture et les idéaux des orientaux...Ka, lui -même, est un héros ambigu se démenant au sein de ses luttes pour assurer son bonheur. Il devient l'intermédiaire entre les deux factions rivales. L'écrivain mêle habilement la quête du bonheur et de l'amour aux contraintes de l'engagement politique.
Ce titre peut être aussi vu comme un roman à suspens où l'étau se resserre progressivement sur Ka. Le destin est en marche dès les premières pages. S'y mêle une réflexion philosophique sur le lien entre le flocon de neige et l'être humain...
Un livre à lire de toute urgence à l'heure du débat sur l'entrée de la Turquie dans l'Union Européenne. A noter que Pamuk milite pour l' intégration...
Mon nom est rouge
Gallimard, 2001
Orhan Pamuk , grand écrivain turc contemporain, nous plonge dans la ville d'Istanbul au XVIe siècle. L'Empire Ottoman commence à s'ouvrir à l'extérieur en commerçant avec la République de Venise. Admiratif devant les portraits de la Renaissance, le sultan demande à ses miniaturistes de faire un portrait de lui à l'italienne. C'est alors que l'un des peintres du roi est assassiné...
Ce polar historique est basé sur le fossé culturel existant entre un Occident marqué par l'individualisme et l'amour de soi et un Orient ou Dieu est encore très présent. Pamuk nous fait découvrir tous les secrets des peintres de la cour du sultan. Pour eux, leur talent excelle lorsqu'ils sont arrivés à copier un modèle existant depuis l'Antiquité. Il n'y a donc aucune place pour la création et l'originalité de l'artiste. La création de l'artiste est une notion typiquement occidentale née à l'époque de la Renaissance.
En Orient, à l'époque des sultans, le talent est d'abord basé sur la mémoire: un génie devra reproduire à l'identique les modèles codifiés. Devenir aveugle demeure ainsi la sublime récompense: le peintre, guidé uniquement par ses propres mains et ses souvenirs, doit arriver à se remémorer le modèle. Il existe d'ailleurs des peintres qui se sont volontairement crevé les yeux...
Dans la cour du sultan, les peintres sont prêts à tout pour obtenir la place de premier peintre du sultan; ce roman enquête sur ces luttes internes à la cour. Les lecteurs romantiques seront également ravis: l'enquêteur doit retrouver l'assassin s'il veut épouser la fille du directeur de l'école des peintres.
Ce roman foisonnant, polyphonique (les narrateurs sont les différents peintres suspects) ravira les lecteurs férus d'Art et d'Histoire et aussi de romans d'aventures !