Seuil, Rentrée Littéraire 2005
Voici le dernier opus de la très talentueuse Lydie Salvayre dont je vous avais déjà fait découvrir l’admirable La puissance des mouches, où un fou à lier nous communiquait dans un monologue dément sa passion pour Pascal.
Ici, Pascal cède la place à Descartes. Mais dans ce titre, il ne s’agit plus de congratuler son maître à penser mais de le réfuter : le narrateur est un misanthrope qui a fui depuis longtemps les affres de la société pour se consacrer à l’étude de la philosophie. Mais un beau jour, sa tranquillité prend fin à cause de la prise en charge de sa mère sénile. N’arrivant pas à philosopher tout en faisant « manger et pisser » sa mère grabataire, il rentre dans des colères monstres et clame contre son gré la haine de sa vieille mère impotente. Son constat va alors à l’encontre de la philosophie cartésienne : « L’âme de l’homme est violente ».
Il se lance donc dans une réfutation de Descartes : le célèbre « Je pense donc je suis » devient « Je pense donc j’essuie » car sa mère s’est renversé sa tisane sur sa robe alors que son fils était en pleine méditation ! Pour lui, sous l’emprise de la colère, on ne peut se contrôler : jugez-en plutôt par vous-mêmes : « et ce que je lui balance en mon for intérieur est plus abominable encore, qui va du simple conne au magistral Crève salope, en passant par le Fais-toi foutre , Ferme ta gueule, va chier ! »
Le fils éploré sombre dans la plus profonde dépression : il abandonnera la philosophie pour consulter une voyante bohémienne, Madame Mila, qui lui fera découvrir le monde et …l’amour.
L’objectif de Salvayre n’est pas de défendre les sciences occultes contre la raison raisonnante. Elle cherche au contraire à montrer que la pensée telle que l’a conçue Descartes est stérile et incomplète, désincarnée et coupée du monde : il a oublié tout simplement le sentiment et l’âme.
Ne vous attendez pas à lire une démonstration philosophique barbante ; ce texte est bourré d’humour. Comme à son habitude, Salvayre mêle les pensées les plus subtiles aux considérations les plus triviales et obscènes. Tout personne qui a du faire face à la vieillesse peut se retrouver en ce narrateur philosophe.
Je vous propose deux extraits bien coriaces :
-A Descartes
« N’avez-vous jamais été pris du désir de casser la gueule à un con ? D’envoyer bouler votre père ? De fulminer contre vos princes ? De foutre le feu à leur colloque ? …Savez-vous ce que brûler veut dire ? N’avez-vous jamais pensé à votre queue ? Jamais lancé à un ratiocineur : parle à mon cul, ma tête est malade ? … »
A sa mère :
« L’homme cartésien est un homme sans épaisseur, sans chair, sans juif et sans arabe dans sa lignée, sans préjugé, sans petite manie, sans conflit avec ses collègues, sans papa ni maman.
Le pauvre ! dit maman.
Un fantoche, un éthéré qui ne pue pas. Qui ne pête pas.
C’est appréciable dit maman.
Qui ne rit pas. C’est triste, dit maman.
Que ne baise pas. Maman ne dit rien.
Et qui ne vit pas. C’est plus embêtant, dit maman »
Salvayre n’hésite pas à traiter le grand philosophe de tous les noms ! Il fallait oser ! Ouvrez vite ce livre ! Il va à l'encontre du politiquement correct, de la langue de bois et du bien pensant !