Editions L'esprit des péninsules, 2003
Pierre Jourde est connu dans le monde littéraire pour avoir écrit des pamphlets contre la littérature française et ses principaux représentants (Houellebecq, Darrieusecq, Angot, Laurens...) dans La littérature sans estomac et dans Le Jourde et Naulleau, parodie du Lagarde et Michard.
Sa réputation de pamphlétaire ne doit pas pour autant cacher son oeuvre romanesque: Pays perdu, son premier roman, renouvelle le genre du roman du terroir.
Il n'est pas question de décrire la vie d'une famille sur plusieurs générations mais au contraire de se concentrer sur une ou deux journées dans un village auvergnat isolé: Jourde prend le prétexte d'une intrigue minimaliste, l'enterrement d'une petite fille, pour décrire les derniers habitants de cette région désertifiée. Le récit est donc une succession de portraits des derniers survivants: c'est l'occasion d'insister sur la solitude, le problème de l'alcoolisme et l'attente de la mort. Jourde décrit les intérieurs des bâtisses rongés par la saleté, les visages ravagés par la vieilesse et l'alcoolisme.
L'écriture magnifique, les longues phrases ponctuées de métaphores sanctifient ces figures de survivants. La mort plane sur cette terre (la seule enfant est d'ailleurs morte au début du livre) et la seule action consiste à accepter son destin. Les personnages sont alors des figures de déréliction.
Le narrateur est un citadin qui a quitté son village natal depuis de nombreuses années et qui revient à l'occasion de l'enterrement. C'est donc lui qui décrit les personnages. On peut accuser Jourde d'avoir joué la surenchère au service du tragique. Mais l'écrivain a le mérite de créer de la poésie, de la beauté à partir d'un monde ignoré de la littérature et de la société.
Cette fiction est à rapprocher des oeuvres de Pierre Michon et de Richard Millet (voir les articles qui leur sont consacrés dans ce blog) qui, par leur écriture, contribuent à créer une légende paysanne.