PRIX GONCOURT 2008
Editions POL
Voici donc ma critique du Prix Goncourt amplement mérité d'Atiq Rahimi.
Il s'agit de son premier roman écrit en langue française. Au début, j'ai été assez décontenancée par le style ; en effet, je m'attendais à redécouvrir le lyrisme et la poésie de la littérature orientale. Point de cela. Au contraire, l'écriture de Rahimi est très épurée, très sèche. Elle s'attache à décrire l'action avec le moins de mots possibles, Comptent énormément les silences, les non-dits...Tout cela pour faire ressortir la beauté d'une parole féminine et tout d'un coup, la poésie surgit...
Mais revenons à l'intrigue : une femme, un homme. "En Afghanistan ou ailleurs". On ne saura pas leur nom.
Juste un décor très épuré : une maison, une chambre où est allongé l'homme ; il est blessé, le regard fixé au plafond, dans le coma. Sa femme veille sur lui. Pendant ce temps, dehors, le muezzin appelle à la prière ...et les bombes tombent. Entre dehors et la chambre, un rideau bleu et jaune où sont dessinés des oiseaux migrateurs. Au mur, une photo et un khandjar, un poignard turc. Derrière la chambre, des cris de petites filles...Voila pour le décor très ténu.
La femme au chevet s'occupe de son mari, le soigne, lui caresse le visage part puis revient...Les jours se répètent...Rahimi introduit une pulsation, un rythme à son écriture de part des bruits, des actions. Chaque jour ou plusieurs fois par jour, des petits événements se répètent...Il y a d'abord le souffle du malade sur lequel se cale la femme pour sa propre respiration. Il y a la femme qui egrenne 99 fois son chapelet. Qui dit 99 fois le nom de Dieu. Il y a l'appel du muezzin. Il y a le bruit du goutte-à-goutte. Tous ces événements minuscules introduisent une petite musique bien rythmée sur laquelle se règlent les pas de la femme.
Entre deux bombes, la femme soigne son mari puis tout d'un coup, sa parole se libère...Le mari devient sa pierre de patience, la Syngué Sabour, une pierre magique (sans doute la Kaaba de la Mecque) que, dans la mythologie perse, l'on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses blessures. On lui confie ses secrets. Et la pierre absorbe, éponge jusqu'à ce qu'un beau jour, elle éclate. Ce jour là, on est libéré mais ce sera sans doute l'apocalypse...
La femme avoue à sa pierre de patience humaine, inerte, tout ce qu'elle a sur le coeur depuis son mariage : les privations, le mariage forcé, son enfance, ce qu'elle pense des hommes et son plus lourd secret...
Rahimi magnifie la parole. Il s'agit bien sûr de la parole d'Allah, la parole religieuse, celle du muezzin. Mais c'est surtout la parole profane qui se libère. Parfois, le verbe devient très cru, ce qui est d'autant plus fort dans une écriture si épurée. Elle insulte, elle crie sa haine. Parfois, la parole devient conte, enchantement. Il y a bien sûr cette très belle histoire de pierre de patience, métaphore de toute l'action du livre. Il y a aussi ce conte digne des Mille et une nuits, transmis de mère en fille, métaphore de la condition féminine.
La parole se libère. La femme parle de désir, de sexe, de frustration. Elle n'hésite pas à se prostituer pour dire sa haine des hommes. Dans ce texte promis à la censure en Afghanistan, en guise d'introduction, une citation d'Antonin artaud : "Du corps par le corps avec les corps, depuis le corps et jusqu'au corps"La femme déclare : tu me donnes ton corps, je te livre mes secrets.
La parole est une litanie, une incantation. Nous ne sommes pas loin de la tragédie grecque. La femme se croit possédée telle une démone...
En effet, il faut souligner la dimension éminemment théâtrale de ce très beau texte. Le monologue, long cri, se déploie dans un univers de fin du monde ; il est très rythmé de par la petite musique que nous avons évoqué plus haut. Le décor très épuré ne sert qu'à justement mettre au premier rang cette déclamation.On pourrait évoquer Médée ou encore Phèdre..
Les jours se succèdent, les portes s'ouvrent, les gens reviennent. La femme revient. Entre chaque acte, une bombe qui éclate ou l'appel du muezzin...Tout cela marque les actes d'une tragédie car l'on sait pertinamment que la pierre va éclater...
Entre retenue et cri, ce texte consacre la voix d'un écrivain unique qui renouvelle la forme du récit oriental.