PREMIER ROMAN
Editions POL, 2006
Voici mon coup de coeur de la semaine (oh, oh, peut-être un peu sévère, sans doute du mois en ces temps de publication un peu moroses) : un premier roman détonnant et aussi d'actualité puisqu'il traite du monde du travail impitoyable. Mais l'essentiel n'est peut-être pas là...
Nous voici confronté au discours d'une femme artiste qui doit subvenir aux besoins du couple car "l'homme à élever" est au chômage. Elle, la fantaisiste, la créatrice, la rêveuse, va être obligée de travailler dans un grande entreprise ; l'artiste va devoir revoir des produits mal conçus. Après le refus, la révolte vient la résignation et enfin le sursaut....Louise Desbrusses critique les habitudes idiotes de l'entreprise (l'épisode du badge est hilarant), les conversations débiles et un travail abrutissant qui nie la pensée.
Mais l'essentiel n'est pas là. N'allez pas vous imaginer qu'il s'agit d'un roman social. Il s'agit avant tout d'un formidable travail sur la forme littéraire. Il s'agit en effet d'un monologue intérieur écrit à la deuxième personne du pluriel pour instaurer une distanciation (on pense tout de suite à La modification de Michel Butor ). D'autre part, les personnages n'ont pas de noms mais des surnoms du genre "Homme à élever", "Plume" "Costume bien taillé".Première originalité.
Deuxième performance: l'écriture est très hâchée dans la mesure où la pensée se cherche, se corrige, se moque d'elle à tout bout de champ. Le texte est ponctué d'interrogations, d'hésitations et de commentaires entre parenthèses qui ironisent, qui reviennent sur ce qu'a été dit. Répétitions et corrections sont ainsi monnaie courante du genre "Vous le faites, non vous le faites pas". L'humour surgit alors comme lorsqu'elle rêve d'envoyer balader son mari et qu'elle n'ose pas le faire.
Louise Desbrusses matérialise le parcours d'une femme qui s'enlise puis qui se libère peu à peu; il s'agit d'un combat philosophique difficile à mener entre l'individualité de l'être et les règles pernicieuses de la société.
Je ne résiste pas à l'envie de vous livrer deux petits extraits:
Le premier jour en entreprise:
"Soyez légère un peu, insistez-vous, et ça ira : vous passerez à travers sans être touchée (Très forte !).Voilà le défi, inventez-vous (Quelle invention !)Le défi, voulez-vous croire maintenant, c'est d'y aller et de passer au travers. Vous pouvez le faire, répétez-vous répétez-vous, vous pouvez le faire, vous le ferez. Pourquoi paniquer? Respirez. Cette façon de dramatiser parfois (râler-vous). Stop. Respirez. Vous faites un pas, un autre, vous vous glissez dans la foule. ....."
Quitter ou ne pas quitter "l'homme à élever"
"Arracher ce qui reste . Oui. Partir. Il le faut. (Pourquoi le faut-il) C'est fini. C'est tout. Pas d'espoir. Aucun. Non. Pas de remords (en règle). Non. Aucun. Partir où? Viens, dit l'éclat noir, viens chez moi. Pouquoi? Pourquoi pas? Et le dire? Comment le dire? A qui? Faut-il? Le dire? Peur (panique). A qui? Comment? Jamais.Vous n'avez jamais fait cela. Pas de (je ne sais pas) de mode d'emploi. Personne ne dit. Comment faire. Personne. Ils le font...."
BONNE DECOUVERTE !